Etude de la Loutre Lutra lutra dans le
bassin supérieur de la Garonne
(Garonne amont) :
Observations de terrain : Jérôme DESJOUIS, Paul MATHE,
Jean-Michel PARDE
Rédaction du rapport: JM PARDE
Extrait du rapport
Introduction
Bref historique :
Les principales étapes de la régression de
la loutre dans la partie supérieure du Bassin de la Garonne peuvent
être rappelées.
En 1980, des indices sont observés à Cazaux-layrisse dans la
vallée de la Pique et à Izaourt, à la confluence de l'Ourse et de la
Garonne (GREEN et al. 1980). En 1981, KEMPF trouve une épreinte
seulement à la confluence Ourse-Garonne (com pers.).
Au début du printemps 1985, nous organisons, avec l'aide de
Christian BOUCHARDY, des sorties qui restent infructueuses. Elles
concernent le Job et le Ger entre Pointis de Rivière et Aspet , la
Garonne à Fos, la Pique à Cazaux-Layrisse, l'Ourse vers
Mauléon-Barousse, l'Arros dans les Baronnies et l'Adour à Bagnères.
Antérieurement à 1993, A. BERTRAND estime
que quelques individus subsistent dans la partie "piémont pyrénéen" du
Haut bassin de la Garonne (vallée de l'Hers en Ariège et cours de la
Garonne entre Boussens et la confluence de la Pique) s'appuyant sur les
travaux déjà anciens de GREEN, op. cit. , Kempf (1981) et plus récents
de BERTRAND (1991). Ainsi des indices peu nombreux sont notamment
observés par A. BERTRAND à la confluence Ger-Garonne, en aval de
St-Gaudens.. et la zone comprise entre Boussens et Montréjeau est
classée par ce dernier en "zone de peuplement irrégulier." Il n'est
plus question de la haute vallée de la Garonne.
Pendant toute cette période, nous avons
fréquenté régulièrement les rives de la Garonne et de la Pique, sans
jamais avoir observé d'indices de présence de loutre dans leur partie
proprement pyrénéenne.
Parallèlement, le suivi de la loutre en
Catalogne montre à cette époque la persistance puis le redéploiement de
l'espèce, au nord-ouest et au sud. Nous avons ainsi eu l'occasion de
nous familiariser avec cette espèce à l'occasion de diverses sorties
avec J. RUIZ-OLMO, spécialiste de l'espèce.
L'expansion de la loutre s'est poursuivie
dans la fin des années 90 dans les Pyrénées catalanes, au point qu'en
2000, elle a franchi le col de Béret, pour s'établir dans la vallée de
Ruda (Partie supérieure de la Garonne) au Val d'Aran. En 2001, le
bassin hydrographique du Val d'Aran était fréquenté en totalité
(RUIZ-OLMO, 2001).
C'est à la fin de cette année que ses
épreintes ont été retrouvées à Cazaux Layrisse (MELLET), puis à Fos
(PARDE). Près de cette dernière localité, il a été observé en Janvier
et février 2002, un total de 73 épreintes, en quatre sorties assez
brèves. Il semble donc y avoir une importante fréquentation du site,
qui contraste fortement avec les maigres données antérieures et semble
constituer un prolongement des observation de RUIZ-OLMO, sur le
territoire français.
Le
contexte :
La vallée de la Garonne doit faire dans les
années qui viennent l'objet de divers aménagements, notamment la
création de déviations de plusieurs villages, avec construction de
plusieurs ponts. Un programme de débroussaillage des rives de la
rivière semble aussi être prévu par la DDE. D'autres équipements sont
envisagés à proximité du cours, passage de faune près de la frontière,
échelles à poissons plus en aval.
Il semble donc important d'évaluer
l'extension actuelle de la colonisation par la loutre sur le bassin
supérieur de la Garonne, afin que le fait nouveau de sa présence puisse
être intégrée dans les aménagements à venir et qu'une réflexion
argumentée puisse se développer sur le retour de cette espèce et ses
implications. Il semblerait par ailleurs dommage que le travail
remarquable de suivi réalisé au versant catalan, ne soit pas relayé sur
le versant français.
Les
objectifs :
Le travail proposé vise à établir un état
des lieux sur la situation de la loutre dans le bassin supérieur de la
Garonne
Trois axes semblent pouvoir être retenus
· Analyse globale de l'extension de l'espèce en 2002 dans l'unité
hydrographique "Garonne-amont", des Pyrénées jusqu'à Cazères.
· Relevé détaillé et cartographie des indices de fréquentation de
l'espèce sur le cours supérieur de la Garonne depuis la frontière
espagnole (val d'Aran), jusqu'à Montréjeau
· Réunion d'échange technique et de sensibilisation des organismes
intervenant sur les sites concernés
Rappels utiles sur la biologie et les méthodes de suivi :
Le principal aspect de la biologie de la
loutre, utilisé pour détecter sa présence est le marquage de ses
passages par le dépôt d'épreintes (excréments déposés par petites
quantités) sur des rochers, des petites buttes de terre ou d'herbes,
parfois sous des ponts.
Les traces dans les substrats meubles peuvent parfois aider à détecter
la présence de femelles suitées
On retiendra certains points des études
menées en Catalogne (RUIZ-OLMO, 2001), dans un contexte relativement
similaire à celui des Pyrénées centrales, et sur des populations qui
semblent avoir fournis les individus que nous nous proposons d'étudier
(op. cit.) :
· Les cours d'eau oligotrophes de montagne
présentent des densités, jeunes inclus de 0,05 à 0,2 loutres par
kilomètres (soit une loutre chaque 5-20 km) ;
· Les rivières plus productives, comprises entre 200 et 600 m
d'altitude, ont des densités observées de 0,2 à 0,09 loutres par km
(soit une loutre chaque 1-5 km).
Au-dessus de 800 m d'altitude la densité chute à une tous les 10-20 km.
La méthode de recensement par observations
visuelles, sur des tronçons d'au moins 10 km avec un observateur posté
chaque 500+/-100 m (RUIZ-OLMO) est adaptée à ces études de densités.
Les effectifs de loutres oscillent
notablement en raison de facteurs extérieurs comme les densités de
poissons, influencées par la sécheresse, les pollutions ou les crues
catastrophiques des rivières.
Globalement, pour toute la Catalogne,
l'effectif total estimé est passé de 30-50 loutres en 1985 à 150-260 en
2000. La Noguera-Pallaresa, adossée à la Garonne, constituant l'un des
secteurs de densités parmi les plus dynamiques. Le nombre total estimé
de femelles se reproduisant annuellement est passé de 5-10 en 1984-85,
à 20-40 aujourd'hui. On a noté que le nombre de jeunes était en
relation avec les disponibilités alimentaires et que la reproduction
devient occasionnelle au dessus de 800-900 m.
La présence de l'espèce en altitude serait
donc rarement continue et dépendrait, encore plus pour les femelles
reproductrices, de la disponibilité en zones moins élevées plus
productives en poissons, à proximité.
Le bassin supérieur de la Garonne était
dépourvu de données consistantes concernant la loutre de 1981 à 2001,
on pouvait tout au plus s'interroger sur la présence de rares individus
erratiques et du fait de l'absence de marquage régulier, on devait
écarter l'idée d'une population fixée quelque part dans cette zone.
La colonisation observée au Val d'Aran semble donc être à l'origine des
indices de loutres observés en aval sur les cours de la Garonne et de
la Pique.
Choix
du protocole de prospection :
Nous utilisons un protocole identique à
celui qui a permis de couvrir l'ensemble du territoire espagnol
(Ruiz-Olmo et Delibes, 1998). L'unité de base est la prospection de deux
tronçons de 600 m de long au maximum, disposés sur chaque
cadran (1/4) de carte au 1/50 000 concerné par le réseau hydrographique
"Garonne amont". Huit tronçon ont été prospectés pour chaque carte. Un
cadran est ici une maille sub-rectangulaire de 0.10 gr en latitude et
0.20 gr en longitude.
Le parcours de chaque tronçon constitue un
sondage pendant lequel ont été recherchés exclusivement des excréments
(épreintes et marques mucilagineuses) et des traces nettes
de Loutre, sur la berge accessible des rivières et lacs. Tous les
éléments douteux ont été éliminés, en particulier, il n'a pas été prévu
de tenir compte de la présence de restes de poissons ou massacres, dont
l'origine est presque toujours incertaine.
Deux sondages ne doivent pas être plus
proches que 5 Km, sauf à concerner deux rivières différentes.
En cas de succès dès les
premiers mètres, on poursuit la recherche sur 200 m seulement, sinon la
prospection s'achève après un parcours de 600m. Une seule rive de
rivière est généralement prospectée.
Remarque: L'utilisation de ce protocole
permet de comparer nos résultats avec ceux du versant espagnol. De
plus, par rapport aux autres protocoles proposés en France, il a la
particularité de ne prospecter qu'une seule rive. Ceci rend les
prospections possibles même si il n' y a pas de pont (il est souvent
proposé le parcours des 2 rives depuis un pont). Il arrive d'ailleurs
qu'une des 2 rives ne soit pas accessible. Enfin, le parcours sur une
seule rive est plus rapide et une seule personne peut prospecter.
Résultats de l'étude de la Loutre dans le bassin
Garonne amont
Analyse détaillé de l'axe
garonnais et des principaux affluents
La carte ci-dessus illustre le découpage des
différentes unités de travail, les résultats sont présentés dans le
tableau ci-dessous.
Unités
Rivière (par section)
Km réels
Km prospectés
N épreintes
S sites positifs
N/Km prospectés
S/Km prospectés
N/S
B
Garonne I
9
7.5
46
17
6.13
2.27
2.71
Montréjeau-Labroquère
C
Ourse
9
6.5
27
14
4.15
2.15
1.93
Mauléon-Izaourt
D
Garonne II
15
13
33
15
2.54
1.15
2.2
Labroquère-Marignac
E
Garonne III
12.5
8.5
78
18
9.18
2.12
4.33
Marignac-Plan d'Arem
F
Pique aval
16
12.5
83
30
6.64
2.4
2.77
B. de Luchon-Cierp
5.7
2
Total moyenne
2.84
les données sont
retraitées, en soustrayant les longueurs de rivières non accessibles et
non prospectées et en ramenant les résultats à deux types d'indice
kilométrique d'abondance.On a
donc deux possibilités de classement des rivières pour chaque IKA:
selon le nombre d'épreintes observées au Km prospecté
par rapport au nombre de sites fréquentés au Km prospectés
Le tronçon F
Pique-aval est le plus riche en sites de marquage
Le tronçon E
Garonne III est le plus fourni en épreintes
Le secteur D
Garonne II est le plus pauvre selon ces deux critères
L'étude
détaillée Garonne-amont ( Garonne, Pique Ourse) a permis l'observation
de 267 épreintes sur 94 sites de dépôt distincts et 8 pistes ou
empreintes de Loutres bien identifiées.
Echantillonage
global de toute l'aire hydrogéographique
Les conditions
météorologiques particulièrement mauvaises à certaines périodes de la
campagne de prospection ( fortes chutes de neiges) nous ont limités
dans les prospections. Seulement 40 sites ont été visités en
décembre-janvier. Les données antérieures issues du travail récent de
Paul Mathé en mai 2002 (Mathé, 2002) ont donc été utilisées pour 5
sites d'altitude du bassin de la Pique.
Sur 45 sites
sondés, 28 n'ont fourni aucune donnée de présence de Loutre, alors que
17 étaient fréquentés par l'animal. En Moyenne, 5.8 épreintes sont
observés ( de 1 à 21) par site positif. La présence de la Loutre a été
constatée sur 11 cadrans correspondant essentiellement à la zone de
montagne et de piémont des sous-bassins de la Garonne amont, de la
Pique, de l'Ourse, de la Neste et du Louron. Aucune donnée n'a été
trouvée en aval de St Gaudens.
Insertion
de la Loutre dans l'environnement
Les principales activités humaines
présentes le long des cours d'eau sur les sites observés sont
détaillées dans le tableau ci dessous:
Activités humaines
nb de sites positifs (présence de la
Loutre)
nb de sites négatifs
Elevage extensif
10
59%
21
75%
Hydroélectricité
9
53%
6
21%
Zone de loisirs
5
29%
4
14%
Bâtiment divers
5
29%
0
Plantations, sylviculture
0
7
25%
Cultures
0
9
32%
Autres activités regroupées
7
41%
10
36%
L'élevage extensif et l'hydroélectricité
sont les activités humaine qui dominent très largement l'environnement
occupé par la Loutre dans respectivement 59 et 53 % des cas. Les
implantations humaines diverses, bâtisses plus ou moins voisines des
cours d'eau fréquentés par la Loutre, représentent une proportion non
négligeable (env. 30 % des cas). Ceci indique que cette population de
Loutres ne vit pas isolée dans un environnement d'où l'homme est
absent. Au contraire, elle paraît vivre assez souvent presque au
contact des activités avec les inconvénients que cela peut impliquer
(aménagements, impacts indirects, sécurité des individus,...).
Les zones d'absence de la Loutre sont elles
aussi souvent des zones d'élevage ou de cultures (dans 75 et 32 % des
cas), ou de sylviculture (plantations diverses) pour 25 % des stations
observées. De ce point de vue elles ne semblent pas , à priori, plus
hostiles que les secteurs habités par l'animal, au contraire.
Enfin, on n'oubliera pas la pêche de loisirs
qui est présente partout avec seulement deux cas de réserves de pêche
dans notre échantillon.
Les principaux faciès de végétation
fréquentés par la Loutre correspondent aux éléments
constitutifs de la berge observés sur les sites échantillonnés.
Milieu
nb de sites
positifs (présence de la Loutre)
nb de sites
négatifs
ripisylve
4
24%
9
32%
franges de hautes herbes
4
24%
7
25%
prairies
10
59%
5
18%
frange arborée ou arbustive
11
65%
13
46%
autres milieux regroupés
7
41%
16
80%
Dans les secteurs où la présence de la
Loutre a été dépistée, la formation qui domine est la frange
arborée, souvent constituée d'une rangée plus ou moins
large d'aulnes, de frênes ou d'arbustes moyens, correspondant le plus
souvent à une situation de bocage humide. La
composante complémentaire en est la prairie.
La présence de franges de hautes herbes est
assez fréquente. Elles ont pourtant été notées en décembre et janvier,
alors que ces observations hivernales ne se prêtaient pas forcément à
leur repérage. Leur exubérance à la belle saison doit renforcer leur
influence. Parmi ces herbes, on note couramment le Phalaris
et la renouée du Japon, plante introduite, parfois décriée, qui joue
probablement ici un rôle positif d'écran visuel.
Les ripisylves, boisements humides
plus étendus qu'une simple ligne d'arbres (dans notre classification),
ont la même fréquence que les hautes herbes. Elles sont plus fréquentes
là où la Loutre n'apparaît pas.
Les observations de l'étude détaillée vont
dans le même sens. Le maillage bocager intégrant la rivière est la
situation qui semble prépondérante. Le faciès gorges
est également un cas assez fréquent.
Distribution altitudinale de la Loutre et occupation du
milieu
La mise en relation des éléments récoltés
dans un cadre global fait apparaître un effet de population
; les données de présence de loutres sont proches les unes des autres.
Nous n'avons décelé de noyau de présence isolé sur aucun sous-bassin
versant. Le secteur confluence Garonne-Neste à Montréjeau joue un rôle
stratégique et met en relation tout le bassin versant de la Neste avec
celui de la Garonne. La longueur de rivière occupée par
l'espèce est de 159 Km.
La répartition altitudinale des données,
issues de l'échantillonnage en 45 stations de sondage met en évidence
une courbe dissymétrique avec un nombre de stations positives plus
élevé entre 400 et 700 m. La moyenne d'altitude fréquentée et
de 666 m. Cette dissymétrie de la courbe semble indiquer un
facteur limitant à l'aval du noyau de population en dessous de 400 m.
Il semble que la Loutre n'ait jamais
complètememt disparu de la partie inférieure de l'actuelle zone de
présence (Bertrand, op. cit). L'arrivée d'individus issus du versant
sud, nous semble une hypothèse correcte. Elle aurait donc relancé en
toute logique la dynamique démographique par mélange avec les vestiges
de la souche locale.
On peut donc s'interroger sur l'apparente
absence de données actuelles sur les sites que Bertrand avait trouvé
fréquentés en 1993 et sur les raisons de la quasi absence de la Loutre
dans des petites rivières favorables à l'espèce. Cette situation
paradoxale, donne l'impression que la Loutre en est aujourd'hui
quasiment absente des zones où elle était présente en 1993, mais
qu'elle est bien établie là où elle n'était pas signalée à cette époque.
On peut mentionner une moins grande
régularité de la présence de l'espèce sur la vallée d'Aure ( en dessous
d'Arreau). Ceci pourrait indiquer des conditions de vie moins bonnes
pour l'espèce dans cette partie de la vallée.
L'évolution du statut de la Loutre dans les
années à venir permettra peut-être de répondre plus précisèment à ces
interrogations.
Bilan des observations relatives à la Loutre
343 épreintes récoltées entre décembre
et janvier 2003
10 pistes ou traces avec mesures
différentes
38 % des sites échantillonés étaient
occupé par la Loutre
le réseau hydrographique en amont de
St Gaudens est fréquenté sur 159 Km par un noyau populationnel unique
Conclusion
en 2-3 ans, la Loutre fait un retour
impressionnant mais son statut de peuplement reste encore imprécis
colonisation probable à paritr du
versant sud des Pyrénées (Catalogne)(Ruiz-Olmo, 2001)
idée encore imprécise de l'effectif de
population
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